Agnes
Je l'attends. Encore et toujours. J'attends ce moment.
Je ne sais pas quand il viendra, mais un jour, je le sais, il sera là.
L'inspiration, les émotions, les fluctuations, les miracles... on voudrait les nommer, les
analyser, les catégoriser, les comprendre : on parle d'art, de spiritualité, de philosophie, etc.
Mais je sais qu'il n'a pas de terme pour cela, pour ce moment. Ce moment connu de moi seule. Il
n'y a qu'à moi qu'il viendra, et jamais je ne lui donnerai de nom qui existerait déjà dans ce
monde.
Le vent souffle, fin et flûté. Enveloppant la surface lisse des rochers blancs au fond de la vallée,
il souffle sur les jeunes branches des sapins qui recouvrent les montagnes. Et le ciel s'étire, en
tous points parfaitement clair.
Diverses couleurs exhalant un air aride. Un blanc de neige fondue, très légèrement mêlé de
bleu. Le jaune d'un tournesol qui viendrait de fleurir en plein milieu du désert. Le rouge de la
terre dont on fait ces églises aux formes de saintes agenouillées. Le vert d'un yucca battu par les
bourrasques de vent.
Le bruit du vent et les couleurs de la terre se déplacent lentement, elles avançent, se
rapprochent de plus en plus — jusqu'au pinceau entre mes doigts.
Que dessinez-vous ? Voilà quelque chose que l'on m'a souvent demandé. Vous ne souffrez pas
de la solitude ? À cette question, j'ai répondu que je dessinais le bonheur. Le bonheur, il se
trouve dans la beauté parfaite. C'est lui que je poursuis. Pas besoin de compagnon de route dans
une telle quête, pas vrai ?
C'est donc pour cela que vous êtes seule ? Oui, oui. Je dois l'être.
Et vous ne souffrez pas de cette solitude ? Ma foi, je suis peut-être solitaire... mais la solitude
aiguise mes sens. Et c'est parce que j'ai su la transformer en force que je puis continuer à
peindre.
Dans le silence de l'atelier, j'accroche une toile vierge, parfaitement carrée, sur le blanc du
mur. Je ferme les yeux en m'asseyant sur une vieille chaise de bois toute bancale. Et j'écoute. Je
regarde. À l'affût. Du bruit du vent, des couleurs qui emplissent ce monde, des nombreuses
formes parties en voyage on ne sait où. Et puis, vient ce moment.
Il n'a pas de nom. Je le sais. Mais je suis tentée de lui en donner un. J'aimerais l'appeler d'un
nom qui existerait déjà en ce bas-monde.
Alors, quand je ne pourrai plus résister à la tentation, je l'appellerai : le bonheur.