Ophelia
Les jeunes arbres gracieux frémissaient sous la brise printanière capricieuse. Le soleil dardait ses rayons çà et là à travers leurs branches,
sur les champs où s’épanouissaient de jeunes pousses d’herbe.
Par cette belle et picturale journée de printemps, la jeune femme était sortie se composer une couronne de fleurs sauvages.
Mais quelle consolation aurait pu trouver une jouvencelle ayant perdu son amour ? Ni la douce étreinte du soleil, ni le chant de l’alouette
haut dans le ciel, ni la brise légère lui chatouillant les joues ne parvenaient à apaiser ses sentiments. Étendant sur l’herbe la partie inférieure
de sa robe à motifs de fleurs, elle cueillit de tout son saoul celles qui étaient écloses autour d’elle, éparpillant leurs pétales colorés. Les
fleurs de sa couronne, douloureusement douce, exprimeraient ses adieux à son amour en partance.
Herbe de grâce, pensée, marguerite, romarin, fenouil, camélia, encore une autre herbe de grâce… Ses lèvres décolorées murmuraient
le langage contenu dans les plus belles d’entre ces fleurs.
Mon chéri, mes sentiments à ton égard n’étaient pas ceux que tu avais pour moi. Je regrette de t’avoir aimé comme je l’ai fait.
Moi qui croyais que tu tenais à moi ! J’en viens à douter de ce que j’ai toujours éprouvé.
Je ne laisserai personne m’arracher la robe de loyauté qui enveloppe mon corps pur. La force tranquille est mon armure ; la force de ma
volonté, mon épée.
Ô fleurs, cessez de trembler dans le vent. Je l’obtiendrai, la louange ineffable, l’éclat de la vie éternelle.
Doux rouge-gorge, mon amour : maintenant, regarde. Je ne vais pas mourir pour toi, mais vivre pour l’éternité.
Comme elle rassemblait les fleurs en chantonnant, progressant de l’une à l’autre, elle finit par atteindre la berge du ruisseau. Il s’y élevait
un saule svelte et gracieux, dont les longues branches dentelées de petites feuilles d’un vert jaunâtre se balançaient doucement. Invitée par
ce spectacle, elle s’avança d’un pas pour suspendre sa couronne de marguerites, de boutons d’or et autres orchidées jacinthes aux bras
ballants de l’arbre... mais c’est alors qu’une vilaine branche la repoussa et la fit glisser dans l’eau, comme un bouquet qui aurait été jeté à
la surface de la rivière. Ses blonds cheveux ondulèrent dans le murmure, semblables aux jeux de plantes aquatiques. Une sirène ou un
cygne, ignorant tout de la douleur de ce moment, mêla un chant où poignait quelque joie à l’écoulement de l’eau. L’ourlet de la robe se
déployait avec charme à la surface, comme dans un rêve. Cette belle robe semblable à un champ de fleurs coloré, absorbant tant d’eau
qu’elle se changea en plomb, finit par entraîner au fond de la rivière le corps de la jeune femme, dans son entier, jusqu’à sa voix
chantante.
Las ! Que ses yeux d’un vert de jade avaient-ils bien pu refléter ? En cet instant où le bleu limpide du ciel avait fondu sur elle ? Bientôt,
sa vision lentement se brouilla, et tout lui fut lointain.
Ne sois pas triste, Laërte ; elle a enfin gagné l’éternité.
Ta soeur dorénavant renaîtra, encore et encore. Bien des générations après que toi, moi et mon fils Hamlet aurons quitté ce monde, elle
seule demeurera, forte et tranquille.